Dans les “Notes préalables” de cette web, nous avons commenté que la recherche et les visites des monuments médiévaux
nous ont permis, non seulement de jouir d’une facette si peu connue que le Préroman, mais aussi de connaitre une grande quantité de lieux intéressants et d’aimables personnes. Le meilleur exemple, en ce qui nous concerne , fut peut-être la première visite que nous fîmes à la Vallée du Silence. Nous pouvons difficilement expliquer nos impressions quand, il y a plus de vingt ans, après avoir parcouru, à partir de Ponferrada, une route entourée de montagnes et qui, à ce moment-là, ne permettait souvent le passage que d’un seul véhicule et se terminait avant d’entrer dans Peñalba de Santiago, nous nous sommes trouvés face à ce petit ensemble médiéval de maisons en ardoise, comme isolé dans le temps et où se détachait une magnifique église mozarabe que nous avons pu tranquillement visiter avant un bon repas au bar “de al lado” et la dégustation d’une très bonne eau-de-vie servie dans une sorte de gourde typique en verre “el porrón”. (Sur ce point, il faut souligner qu’en ce temps-là, l’alcoomètre n’était pas encore inventé et qu’actuellement la route est toujours dans la même état !).
Si nous nous en tenons à l’histoire de la région, il est évident que dans les derniers siècles du premier millénaire, cette zone du Bierzo possédait déjà un intérêt spécial car ce fut l’endroit choisi par deux religieux du VIIème siècle et un troisième au IXème, très différents entre eux : le moine, évêque et courtisan San Fructuoso qui y créa San Pedro de los Montes, une de ses multiples fondations au nord de la péninsule, l’ermite et ascète San Valerio qui l’agrandit quelques années plus tard et Saint Genadio, cénobite qui la reconstruisit à la fin du IXème siècle et qui, en 919, cherchant une plus grande solitude, fonda Santiago de Peñalba. L’église fut l’oeuvre de l’abbé Salomon entre 931 et 937, après la mort du saint.
L’église est construite en maçonnerie d’ardoise et calcaire, comme les autres édifices de son environnement. Vue de l’extèrieur, elle ressemble aux églises wisigothes de type
cruciforme, formant une croix inscrite dans un rectangle de 20 x 14,40m avec une épaisseur de murs de 72cm. Cependant, sa structure réelle est très différente car elle est formée d’un ensemble de six éléments prismatiques, quatre dans l’axe principal de l’église et deux chapelles latérales plus petites qui forment la croix mais ne constituent pas le transept. Il n’y a pas non plus une unique nef principale car les différents espaces s’échelonnent en hauteurs descendantes à partir de l’espace central qui rappelle les tours de transept des églises wisigothes de ce genre. Les toits sont aussi en ardoise, avec des auvents très prononcés, supportés par de grands modillons constitués d’un maximum de sept lobes en pierre, décorés à base de roues hélicoïdales et de rosettes à six pétales, du même genre que ceux de la plupart des églises mozarabes de la zone. Un autre détail intéressant sont les contreforts de style asturien sur les côtés de la nef et des compartiments latéraux. Actuellement un campanile, exempt sur son coté ouest et de construction très postérieure, complète l’ensemble .
Comme il est habituel dans l’architecture mozarabe, son accès principal se situe sur le côté sud. Dès que nous voyons le magnifique portail, nous nous rendons compte qu’une surprise nous attend à l’intérieur face à son austère aspect extérieur. Il s’agit sans doute de l’élément le plus beau qui nous soit parvenu de l’art mozarabe. Il est formé de deux arcs en fer à cheval très prononcé, de voussoirs de taille parfaite, portés par des colonnes en marbre de la région, sur des bases attiques et complétés par de magnifiques chapiteaux de style corinthien
dégénéré et d’abaques échelonnés. L’extrados des arcs est décoré d’une triple moulure continue pour créer un “alfiz” rectangulaire qui encadre les deux arcs. Cependant, tout cet ensemble, qui n’atteint pas les 30cm d’épaisseur, n’exerce aucune fonction de support, car’il est encadré par un grand arc en fer à cheval, également très prononcé, qui couvre toute l’épaisseur du mur et lui sert de décharge, donnant lieu ainsi à un petit porche à l’entrée de l’église.
En pénétrant dans l`église, nous observons tout d’abord qu’il s’agit d’un édifice à double abside, selon la tradition des églises de type nord-africain qui furent construites trois siècles plus tôt dans le sud-ouest de l’Espagne et dont nous pouvons encore voir quelques vestiges, comme dans la basilique de Vega de Mar et ceux des basiliques dont il devait rester au Xème siècle d’autres exemples connus par les mozarabes qui repeuplèrent la région, étant donné que nous trouvons deux autres absides opposées à San Cebrián de Mazote, un peu antérieure et construite par des moines provenant de Al Andalus.
Outre les deux absides, l’intérieur est formé de deux autres compartiments centraux situés entre elles, le presbytère et la nef, et de deux autres sur les côtés du presbytère, mais de plus petite taille. Tous sont des espaces indépendants, avec différentes formes de couverture et séparés par des arcs en fer à cheval très prononcé, du même genre que les arcs cordobais du IXème siècle, bien que différents entre eux.
Comme nous l’avons indiqué, le chevet se compose d’une seule abside, carrée à l’extérieur et en forme de fer à cheval très prononcé à de 3,6m de diamètre, auquel nous accédons à
travers un arc magnifique en fer à cheval sur des colonnes et chapiteaux et dont l’extrados, comme la porte principale, est décoré d’une grande moulure continue, créant ainsi un “alfiz” rectangulaire. Ce type d’abside, plane à l’extérieur et courbe à l’intérieur, était déjà connu dans certaines églises wisigothes comme Recópolis ou Melque et est habituel dans les constructions mozarabes, comme nous pouvons l’observer à Bobastro, Mazote, Escalada,… Sa couverture est une voûte, de structure semblable à celle de la minuscule abside de San Miguel de Celanova, qui s’appuie sur une imposte parcourant toute l’abside et qui est formée par sept pans plus un huitième, beaucoup plus grand, en forme de berceau et fermant la partie ouverte du fer à cheval.
L’abside opposé est semblable à l’antérieure. Seule la différencie une hauteur un peu plus grande, le plan en forme de fer à cheval très ouvert, presque semi-circulaire prolongé et l’arc d’accès, de plus grande taille aussi, dans ce cas sans moulure ni alfiz. San Genadio y fut enterré, et y demeura jusqu’au XVIème.
Aussi bien la nef, où se trouve une porte sur le côté nord avec un arc en fer à cheval sur des jambages, que les deux compartiments latéraux, sont recouverts de voûtes en berceau.
Le presbytère est l’espace sur lequel s’articule tout l’édifice. Plus élevé que le reste, il forme un carré d’environ 5m de côté, auquel nous accédons de la nef par un grand arc en fer à cheval, sur des colonnes, des chapiteaux et sans alfiz. Sur les côtés, donnant accès aux compartiments latéraux se trouvent deux arcs beaucoup plus petits, eux aussi en forme de fer à cheval mais, dans ce cas, ils s’appuient sur des impostes incrustées dans le mur qui
prolongent la forme de l’arc, sans colonnes adossées comme dans les autres arcs de l’église. Cet espace est couvert d’une voûte à huit fuseaux qui s’appuie sur des arcs formerets reposant sur de petites consoles dans les angles. Cette voûte est considérée comme l’un des progrès techniques les plus importants de l’architecture mozarabe car les pans de la voûte s’appuyant directement sur les arcs qui déchargent dans les angles, elle leur transmet sa poussée, libérant les murs d’un effort, ce qui rend superflus les contreforts et permet d’ouvrir de grandes fenêtres dans le ciborium, ainsi que les grands arcs d’accès en fer à cheval que nous avons déjà décrits.
Dans ce sens, il est intéressant de souligner que toute la structure de l’église, qui, comme nous le savons, fut construite en une seule phase, semble avoir été dessinée pour supporter et rehausser l’importance de ce ciborium. En effet, ses murs sont supportés sur trois de ses côtés par la poussée perpendiculaire des voûtes en berceau de la nef et des compartiments latéraux et par la voûte à pans du chevet. Ce système d’appuis à différente hauteurs s’est avéré très stable, comme le démontre son état actuel malgré les grandes baies qui se trouvent dans toute la structure du presbytère.
Ces dernières années, sous sept couches de chaux, est apparu à l’intérieur de l’église un important ensemble de peintures du haut moyen-âge qui sont encore en étude. Pour le moment, nous pensons qu’elles peuvent appartenir à trois phases différentes, dont nous savons que la plus ancienne, qui couvrait tout l’édifice, est de type califal, riche dans certains cas en motifs végétaux et géométriques et dans d’autres simulant la brique, comme nous pouvons encore l’observer sur les arcs de la coupole du presbytère, les deux absides de l’église et sur un socle rouge -peinture faite à base d’oxyde de fer de type argileux- semblable à celui qui se trouve à Medina Azahara, construite à la même époque.
Tout comme San Miguel de Escalada, commandée par Alfonso III, nous présente la transition des structures basilicales asturiennes avec l’esprit et les techniques incorporées
par les nouveaux peuples mozarabes, Santiago de Peñalba, héritière de l’esprit monastique wisigoth, est une preuve de l’intégration de cette culture mozarabe qui avait ajouté à une base culturelle hispano-wisigothe tout ce qui avait été appris à Al Andalus, dans un style d’église provenant directement de constructions voisines wisigothes du VII siècle, comme Santa Comba de Bande ou San Pedro de la Nave.
Nous recommendons, non seulement aux personnes intéressées par l’Art Préroman, la visite de la Vallée du Silence pour connaitre cet incroyable site médieval, les grottes où se retirait San Genadio à méditer et l’église que l’abbé Salomon construisit en son honneur, respectant à sa manière le type d’église cruciforme que San Fructuoso initia dans son mausolée de Montelios, y ajoutant toute la qualité technique -dans la distribution d’espaces, appuis, voûtes et arcs- et artistique -dans les chapiteaux et fresques-, apportée par les immigrants chrétiens du sud de la péninsule.
Imagen del Arte Mozárabe; José Fernández Arenas
SUMMA ARTIS: Tomo VIII
L’Art Préroman Hispanique – L’Art Mozarabe: Jacques Fontaine (ZODIAQUE)
Arte y Arquitectura en España 500/1250: Joaquín Yarza
Historia de España de Menéndez Pidal: Tomo VI
Historia de España de Menéndez Pidal:
Tomo VII: Claudio Sánchez Albornoz